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Giorgios Seferis - Le Cheval de Moldovalachie

 

 Le Cheval de Moldovalachie est le poème que Georges Séféris a composé durant son séjour du 14 ou 29 mai 1939 à Bucarest. Le poète, depuis sa fenêtre de l’Athénée Palace dominant le palais royal et la Calea Victoriei, est comme fasciné par la statue équestre du roi Carol Ier qui vient d’être inaugurée – justement le 10 mai 1939, à l’occasion de la célébration du centenaire de sa naissance, en 1839 -, pour célébrer l’avènement du premier roi au trône le 10 mai 1866. Cette statue a vraisemblablement inspiré cette œuvre. Le poète, influencé par le climat angoissant du début de la Seconde Guerre mondiale, transpose ses sentiments négatifs sur la situation politique décadente. Nous nous trouvons au centre politique de la capitale roumaine, au cœur de la ville où symboliquement le pouvoir actuel affronte l’histoire du pays.

 Georges Séféris, durant l’année 1939, en tant que directeur du Bureau de Presse du ministère des Affaires étrangères de Grèce, a effectué deux visites en Roumanie ; la première du 20 au 24 février, certainement une visite officielle, le poète faisant partie de la mission grecque accompagnant le Premier ministre, Ioannis Metaxas, - qui avait instauré une dictature depuis 1936 - , pour la réunion du Conseil de l’Entente balkanique, la seconde deux mois plus tard, du 14 ou 29 mai.

Le Cheval de Moldovalachie est le poème que Georges Séféris a composé durant son deuxième séjour à Bucarest. Il s’agit d’une composition plutôt longue (si on la compare aux autres poèmes) et qui n’a jamais fait partie d’aucun recueil publié par le poète de son vivant. Il l’a lui-même qualifiée d’esquisse qui, en tant que telle, fait partie de son journal intime daté du 19 mai 1939. Ce poème a également été publié en 1976, après la mort du poète, avec certaines variations, sans la mention esquisse, mais toujours daté du 19 mai 1939, dans le recueil Τετράδιο Γυμνασμάτων Β΄.

Le poète, influencé par le climat angoissant du début de la Seconde Guerre mondiale, transpose ses sentiments négatifs sur la situation politique décadente durant ses séjours en Roumanie et notamment à Bucarest.

Georges Séféris, depuis sa fenêtre de l’Athénée Palace dominant le palais royal et la Calea Victoriei, est comme fasciné par la statue équestre du roi Carol Ier qui vient d’être inaugurée – justement le 10 mai 1939 –, à l’occasion de la célébration du centenaire de sa naissance en 18391, pour célébrer l’avènement du premier roi au trône le 10 mai 1866.

Cette statue a vraisemblablement inspiré cette esquisse. Nous nous trouvons au centre politique de la capitale roumaine, au cœur de la ville où symboliquement le pouvoir actuel affronte l’histoire du pays. La statue du roi et le roi dans le palais s’opposent et s’affrontent jusqu’à la confusion. La réalité face à l’histoire semble fuir ses responsabilités.

 

 

 

ESQUISSE POUR LE CHEVAL DE MOLDOVALACHIE

Un panache, une lance, un arbre.
Sur l’autre rive, un cheval.
Au milieu coulent des chairs et des parfums de femmes,
dans ces chairs, des hommes ni joyeux ni maussades,
décidés,
pas décideurs,
décidés par le fait d’autrui ;
peut-être par ces deux rois :
l’un habitant son empreinte de bronze
l’autre habitant son empreinte de chair
par les deux rois peut-être
ou par le cheval
au ventre-gouffre si légèrement porté
sur quatre jambes
qui nous dupent sur la pointe des pieds.
L’horreur n’est jamais visible
on ne voit pas le grand hameçon qui pêche par-dessus
le piédestal rougeâtre,
quand on fait attention, on comprend la catastrophe :
le sperme crochu
qui jaillit de ses attributs terribles, impassibles,
tel un canon inutile dans un manoir d’Hydra,
semence de mort
qui viole sûrement quiconque il vise ;
le traîne comme Achille, traînait Hector
le dos au sol dans la poussière
nu pâle déshonoré
parmi les réclames brodées qui clignotent
dans le flanc fatigué des femmes
sillons embourbés de l’amour
au milieu des pneus chauffés à blanc et des exhalaisons
des automobiles
alors que la chaleur accable et que les uniformes présentent
leurs armes et que les petites trompettes de bronze sont restées
sans air –
il le porte inexorablement dans le lourd ventre du cheval
à l’appendice monstrueux du roi mort dans le dos
et les narines qui s’ouvrent sentant le dégoût.
Cérémonie secrète silencieuse inaudible
offrande à l’homme qui gouvernait tenant le
globe et le sceptre
offrande au cheval dans l’homme qui hennissait et
s’ensanglantait les ongles tandis que l’autre dormait
qui ne se rassasie même pas en ce moment où l’autre a transmuté
le sommeil
cérémonie sans sermon, sans démarche hiératique, ni flambeaux ni célébration de sacrifices,
mais avec nos gestes quotidiens et notre attitude
quotidienne
avec nos petites souffrances et nos joies impersonnelles
avec la ride habituelle au front quand on décroche le
téléphone pour parler
avec l’œil fatigué et la poignée de main molle quand on
rencontre quelqu’un qui importune
cortège funèbre à l’ordre imperceptible de la vie maladive
du monde éphémère.